Très beau film avec la réforme agraire au Japon de la fin des années cinquante, sur l'évolution de la société paysanne et l'émancipation des femmes d’après guerre, sur une très belle réalisation de Mikio Naruse, auteur qui s’était spécialisé dans le genre shomingeki -tragi-comédie sur les classes salariées- au même titre qu’un Yasujiro Ozu. Il passait d’ailleurs lui aussi pour la première fois à la couleur à cette occasion en cette année 1958, et au format large.
L’histoire nous conte une vision du monde paysan, lors d’une réforme de l’héritage par le prisme d’une jeune femme, veuve de guerre. A l’occasion d’une enquête pour un journal, Yaé dévoile la mentalité de la campagne en pleine mutation, tant économique que sociale. Femme résolument moderne, véritable pivot de la famille entre son fils, frères, neveux et nièces, elle va les aider à s’émanciper et vivre selon leurs désirs. Ainsi, entre celui qui désir être garagiste plutôt que reprendre la ferme, l’autre amoureux contre l’avis du père, la nièce qui souhaite faire des études universitaire, sont de nombreux exemples heureux de mutation de la société qui échappe à l’ancienne génération patriarcale. Elle-même va vivre avec ce journaliste une histoire d’amour écartelée par les contradictions de ses ressentis et de sa place dans la ferme.
Un très beau film qui m’a touché au plus profond, pour ce réalisateur que je découvre seulement, et dont il va falloir approfondir un peu plus. S’il y a une vision ozuiènne de la société et de la femme, une autre dimension en fait un auteur à part, avec, du moins sur cet exemple, un côté plus sombre malgré un bel optimisme, qui reste à vérifier avec d’autres films. Ce que j’en ai ressenti est une ambiance poétique, de l’humour subtil, et un souffle d’humanité qui me prend au cœur avec enthousiasme.
Me vient aussi une réflexion, sans doute hors sujet et certainement naïf de ma part. L'héroïne est une jolie veuve de guerre depuis 13 ans. J'ai remarqué que si de nombreux films de ces époques relatent de loin la guerre, jamais on ne nous en parle de front, ni de la mentalité d'alors. Il est vrai que je n'en ai pas assez vu pour avoir une vision poussée, mais quand même. Car l'éducation au bushido dès la plus tendre enfance des japonais, avait du laisser des traces, comme les ressentiments après défaite. Faudra que je recherche.
Reste que la réalisation est superbe, avec des images magnifiques d’une extrême modernité, tant dans la mise en scène que dans les travelings, faisant ressortir comme des tableaux anciens de campagne, où se mêle astucieusement avec la fracture sociale. Les teintes sont chaleureuses et chatyonnantes, même si souvent l'histoire donne du spleen. Les dialogues sont parfois durs et crus et souvent empreint de réalisme.
Le casting est ce qui se faisait de mieux, avec la très émouvante Chikage Awashima (Le gout du riz au thé vert) est excellente, face à Michiyo Aratama (Kwaidan) marquante et la belle Kumi Mizuno pleine d’émotion comme Yôko Tsukasa (Le garde du corps). De même l’excellent Isao Kimura (Entre le ciel en l’enfer) et Keiju Kobayashi (Sanjuro) ainsi que Daisuke Katô (Le goût du saké) et Ganjirô Nakamura (Dernier caprice), mais aussi Haruko Sugimura (Voyage à Tokyo) et Nijiko Kiyokawa (La petite maison de thé), Chôko Iida (Le fils unique) et Kunio Ôtsuka, apportent mettent à contribution leurs talents qui donnent à cette histoire les valeurs du chef d’œuvre.